Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans le carquois
29 décembre 2004

Leur dernière histoire d'amour (suite)

4 février 1975, 

Les partiels se sont assez mal passés, je dois bien le conclure. L'histoire avec Antonetti m'a plus secoué que je ne l'aurai crue. Surtout, je n'ai pas trouvé de nouveau boulot. Je n'ai plus de quoi payer ma chambre de bonne. Charlie m'a proposer d'habiter chez lui, le temps que c cela s'arrange. J'emménage après-demain. Cela me perturbe un peu de vivre avec un garçon, mais, en même temps, c'est très excitant. Nous allons former un véritable couple, habitant le même appartement. Charlie dit que c'est provisoire. En ce qui concerne ma situation financière, j'y compte bien, mais je compte bien aussi faire en sorte que notre cohabitation dure le plus longtemps et qu'elle ne soit pas due à des circonstances particulières.

(…)

17 février 1975,

Notre cohabitation se passe à merveille, excepté le manque de place. J'ai l'impression parfois d'être mariée. La promiscuité renforce les liens. Jeudi, je débute un nouveau travail, dans un bar. Charlie a fait des pieds et des mains pour me trouver un job parmi ses connaissances. Un bel exploit surtout avec le peu d'expérience et le licenciement qui orne mon CV. Il m'a assuré que les proprios étaient réglos. D'ailleurs, c'est un couple. Ca me rassure. Si le patron a des velléités d'adultère, je doute qu'il fasse des tentatives sous le nez de son épouse.

(…)

19 juin 1975,

Charlie estime qu'il est temps pour moi de reprendre. Je suis un peu déçue. Je pensais qu'il me proposerait de continuer à vivre avec lui. Il a du percer ma réaction sur mon visage car il m'a dit que c'était mieux pour nous de garder notre indépendance, au moins jusqu'à ce qu'il est décroché un  travail dans un cabinet. Sur le coup, j'étais dépité, mais en y réfléchissant, cela veut aussi dire qu'il a des projets pour notre couple et qu'il a ressenti, comme moi, que nous sommes faits l'un pour l'autre. Cela me rassure finalement. Cette pensée m'égaye, et tant mieux. Reprendre une vie solitaire dans une petite chambre ne m'emballe pas énormément. Je dois également voir le médecin pour un détail qui me chiffonne.

25 juin 1975,

Comment mettre des mots sur la haine que je ressens ? J'ai l'impression que je peux exploser à tout moment et tout fracasser autour de moi. Rien que pour le plaisir de me défouler, d évacuer cette rage qui bouillonne à l'intérieur de moi. Je n'ai pas écrit depuis le 19 car j'en étais incapable. J'étais trop dévastée, trop anéantie. Depuis 5 jours, je mange à peine et je passe mes journées à pleurer ou à dormir. Charlie, l'homme de mes rêves, Charlie, le garçon gentil et compréhensif, doux et attentionné. Charlie, l'homme qui était amoureux de moi m'a plaqué ! Comme ça, comme une vieille chaussette dont on n'a plus besoin car elle est trouée. Mon défaut à moi, c'est d'être enceinte de lui ! Quand je lui ai annoncé la nouvelle, son visage s'est subitement décomposé, comme si je lui avais parlé d'une horrible et sanglante opération chirurgicale. En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, j'étais dans la rue avec un « je ne suis pas prêt » et « il est temps d'arrêter de se voir » en guise d'adieu. Aujourd'hui, j'ai prise mon courage à deux mains et je lui ai téléphoné. A peine avait-il entendu le son de ma voix qu'il a raccroché. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et qui m'a fait passer de la tristesse à la rage. J'ai une envie folle de lui bondir dessus et de lui griffer (illisible) de pacotille, (illisible) à coups de talons ( ?).

28 juin 1975,

Ma vie part à vau-l'eau. Je ne sais plus quoi faire. A cause de mes jours d'absences, j'ai perdu mon job et j'ai raté les examens. Les examens, ce n'est pas le plus grave, je passerai les sessions de septembre. C'est pour le boulot que je m'inquiète le plus. Sans salaire, plus de chambre, plus de bouffe,  et donc plus moyen d'étudier. Sans Charlie, je n'ai aucune idée comment chercher un job. Et même si je le savais, avec deux licenciements consécutifs et la crise actuelle, je reste sceptique sur mes chances de succès. Depuis une semaine, je n'arrête pas de m'interroger sur les raisons de ma fugue. Papa et Maman n'étaient pas parfaits certes, mais ils étaient le produit de leur milieu social. Je me dis que, malgré tout, ils m'aimaient. Ils doivent être mort d'inquiétude depuis un an. Et moi, dans mon incroyable égoïsme, je les ai laissé seuls dans leur douleur et leur anxiété. Ils ont sûrement dus comprendre que le fait de faire des études était, pour moi, quelque chose de très important. Plus j'y réfléchis et plus je me rends compte qu'il est temps de rentrer, de leur pardonner leurs erreurs et de repartir du bon pied avec mon enfant.

(…)

2 juillet 1975,

Je crois que je n'ai jamais eu autant la trouille de ma vie. Sortir. Fermer la porte. Descendre les escaliers. Traverser la rue. Parcourir une centaine de mètres. Entrer dans la cabine. Glisser la pièce. Composer le numéro en tremblant. Tout cela m'a paru durer des heures et relever de l'exploit. Pourtant, j'y suis arrivé. J'ai téléphoné à mes parents. Entendre leurs voix m'a fait pleurer. Je ne me suis jamais rendu compte à quel point ils me manquaient. C'est Maman qui a répondu au téléphone. Lorsque je lui ai parlé, elle a aussitôt fondue en larmes. Elle a appelé Papa. C'est lui qui a pris la parole. On a discuté tout les deux. Il feignait d'être imperturbable, mais sa voix trahissait son émotion. Il me posait nombre de questions, me demandant où j'étais, ce que j'avais fait pendant un an, si j'avais un toit, assez à manger, si je comptais rentrer à la maison. Je restais vague sur mes pérégrinations, mais le rassurais sur mon état de santé et sur ma condition (en mentant un peu, car j'arrive au stade terminal de mes économies). Pour sa dernière question, je lui répondis oui, s'ils acceptaient, bien sûr, de me reprendre. Il a dit oui, bien entendu. Comment aurait-il pu rejeter leur propre fille ? Dire que cela a été ma hantise toute la journée. La peur vous fait croire de ces choses. Je ne lui ai pas parlé du bébé. Je préfère le faire quand je serai réinstallé. On a pris rendez-vous et après, j'ai couru jusqu'à la gare acheter mon billet avec les quelques sous qu'il me restait. Je n'ai plus assez d'argent pour me payer à me manger ce soir. Je bois beaucoup d'eau, alors la faim ne me tenaille pas trop.

3 juillet 1975,

Revenir chez soi, c'est retrouver les lieux familiers de votre enfance, retrouver les parfums, les bruits qui ont rythmés votre existence. C'est aussi redécouvrir, réapprendre les lieux après en avoir été longtemps séparés. Se les réappropriés pour retrouver le bien-être que vous y puisiez. Pour moi, c'est le retour en pleine face de tout ce que je détestais, de tout ce qui me révulsait. Je relis ce que j'ai écrit ces derniers jours et j'ai l'impression de m'être dissociée, d'être une autre personne. Je me rends compte qu'éloigné, en difficulté, j'ai idéalisée ce que je connaissais. Je voulais retrouver la sécurité de la maison plutôt que d'affronter mon avenir et mes problèmes. Résultat, me revoilà dans cette grande propriété sombre et archaïque. Je m'attendais un peu au retour de la fille prodigue, celle qui a osé franchir les barrières de la bienséance et de la tradition et qui a ouvert les yeux de ces chers parents réactionnaires. Déception, déception. En lieu et place, j'ai eu droit à un accueil certes larmoyant sur le quai de la gare, mais il a vite dégénéré en interrogatoire en règle, une fois revenu dans nos nobles murs. Leurs têtes quand je me suis mise à raconter mon histoire par le détail. Comment j'ai perdu ma virginité avec un artiste bohème et crasseux ; comment je me suis inscrite à l'université par mes propres moyens ; comment une Causse d'Ambert a fait la serveuse dans un restaurant et un débit de boisson ; comment leur fille chérie a fait l'objet de propositions douteuses par un gros restaurateur libidineux ; comment j'ai rencontré un charmant garçon avec qui j'ai vécu dans le péché pendant quelques temps ; comment ce charmant jeune homme m'a mise enceinte (cette partie-là de mon récit a été ma préférée) et comment j'ai tout perdu en quelques jours, phase où je me suis peu appesantie, réalisant à quel point c'est un aveu d'échec et une victoire morale pour eux. La petite effrontée qui voulait mettre à mal leur autorité et leurs traditions s'est mise elle-même le bec dans l'eau, avec un polichinelle dans le tiroir en prime. Je sens que je vais pleurer.

(…)

7 juillet 1975,

Vivre ici est insoutenable. Quand j'entre dans une pièce, les conversations stoppent subitement et on me dévisage comme si j'étais un monstre affreux. Lorsque j'ai le malheur de vouloir engager la conversation, on ne manque pas de rappeler mes erreurs. J'ai cette désagréable impression d'être une invitée indésirable dans cette maison. Je pleure chaque nuit depuis que je suis de retour. On me cloître ici, sans autorisation de sortir, ne serai-ce que pour m'aérer. Mon père répète caustiquement que c'est pour éviter que je m'enfuie. Comme si j'en avais maintenant les  moyens. La vraie raison est, bien évidemment, d'éviter le scandale dans le village. Il est devenu clair pour moi que je ne reprendrai pas mes études. Parfois, j'en viens à haïr la petite vie qui grandit en moi, mais je me reprends. Ce petit ou cette petite n'a  rien demandé à personne. Il ou elle est là  parce que deux jeunes inconscient  n'ont pas fait attention. Je n'ai plus qua être responsable de mes actes et de ma vie, peut-être pour la première fois. Je dois oublier mes rêves d'études supérieures et d'indépendance. Le seul moyen pour moi d'élever cet enfant, c'est de rester avec mes parents et de faire ce qu'ils me disent. Ils parlent déjà d'un bon parti, qui serait prêt à accepter une fille de bonne famille enceinte. J'espère simplement qu'il est gentil.

*

Le journal s'arrêtait là. Maurice referma le livre. Il resta un moment pensif, puis réalisa que dehors, il faisait nuit noire. Un coup d'œil à la pendule lui apprit qu'il était presque deux heures du matin. Il considéra l'ouvrage qu'il avait entre les mains. Une idée germa dans sa tête. Lui qui avait été tellement absorbé par son déménagement, il n'avait pas encore réfléchi au sujet de son prochain livre. Il se dit que ce journal ferait un bon matériel pour un bouquin. Les idées lui vinrent rapidement : dépeindre les années 70, le mouvement de la libération de la femme pour accompagner une destinée personnelle. Une inquiétude l'envahit pourtant. Comment l'histoire avait-elle finie ? Qu'était devenu cette jeune fille rebelle, indépendante, mais victime de la tradition d'une famille de vieille noblesse ? Maurice prit sa résolution. Il retrouverait cette femme et l'interrogerait sur sa vie. Il ferait un très bon livre de ça.

*

Maurice vérifia une nouvelle fois l'adresse notée sur le bout de papier. Pas de doutes, c'était bien ici. Il se trouvait sur le trottoir, en face d'un vieil hôtel particulier dans le 5éme arrondissement de Paris. Cela avait fait à peine trois jours qu'il avait appelé son éditeur pour lui parler de son projet. Il ne semblait pas très emballé, mais il fit confiance à Maurice. Il mit une documentaliste sur le coup. En moins de deux jours, elle avait localisé cette Juliette de Causse d'Ambert, devenue Madame Pierre D'Alamarie de la Roche. Maurice se trouvait maintenant devant cette vénérable bâtisse dans le froid glacial et piquant d'un mois de décembre. Il traversa la rue rapidement et monta la volée d'escaliers dans le même mouvement. Il resta un moment sur le perron, essayant de trouver la meilleure façon de présenter son histoire. Finalement, il appuya sur la sonnerie, prenant la décision d'improviser au fur et à mesure. Il attendit un moment, puis il entendit le bruit  d'un escalier de bois qu'on dévale rapidement. Une petite femme brune ouvrit la porte. Maurice se présenta et demanda à voir Madame d'Alamarie de la Roche. La femme, d'une quarantaine d'années, s'écarta pour le laisser entrer. Elle lui indiqua un salon sur la droite, puis regravit l'escalier de bois qui se trouvait dans le  hall d'entrée. Maurice pénétra dans le salon. Le décor était très cosy, un peu à la manière d'un salon victorien. Maurice pensa à l'appartement de Sherlock Holmes dans les nouvelles de Conan Doyle. Un feu crépitait dans la cheminée. Maurice s'approcha de l'âtre pour se dégager du froid de l'extérieur. La maison, ou du moins cette pièce, semblait bien entretenue. Pour une raison ou pour une autre, Maurice s'était attendu à une vieille habitation décrépie, froide et habitée par une vieille  famille d'aristocrate ruinée. Il n'en était apparemment rien. L'escalier se fit  à nouveau entendre, ce qui tira Maurice de ses réflexions. Dans l'encadrement de l'entrée du salon, une femme apparue. L'écrivain resta interloqué pendant quelques instants. C'était une femme très belle qui venait de faire son apparition. Ses cheveux blonds délavés encadraient un visage lumineux. Ses yeux étaient d'un bleu profond, océanique. Elle souriait d'un sourire magnifique, avec des lèvres à peine rehaussé de rouge. Ses traits étaient lisses. Quelques petites rides les agrémentés. Maurice se reprit. Il ne savait pas trop quoi faire. Lui baiser la main ? Il décida d'aller au plus simple. Il s'avança vers elle et lui serra la main :

- Bonjour, Madame. Je me présente. Je m'appelle Maurice Benamid.

Elle n'eut pas l'air outrée, ce qu'il considéra comme un bon signe.

- Ravie de vous rencontrer, monsieur Benamid. Je suis Juliette d'Alamarie de la Roche. Je suis assez surprise de vous voir chez moi.

- J'aurais dû prévenir de ma visite, je suis désolé, répondit-il en s'admonestant intérieurement pour cette boulette.

- Ce n'est pas grave. Je reçois peu de visite et ceux qui préviennent sont souvent ceux que je ne veux pas voir.

Elle se mit à rire. Son rire était enchanteur. Maurice sourit par politesse car il n'avait pas trouvé cela particulièrement drôle. Mais ce rire, maman, qu'il était beau ! Finalement, elle l'invita à s'asseoir sur le divan. Elle s'installa sur un fauteuil.

- Vous êtes bien Maurice Benamid, l'écrivain, non ?

Elle le connaissait donc.

- Oui, c'est exact. (Il prit une petite inspiration et dit) J'ai emménagé il y a deux ans, dans une grande propriété. Vous la connaissez. Il s'agit du manoir Causse d'Ambert.

Elle se raidit dans son fauteuil. Il continua :

- Dans le grenier, j'ai récemment trouvé votre journal intime.

Il le sortit de sa poche intérieure et le lui rendit. Elle semblait particulièrement surprise, le regardant comme un animal étrange, cherchant à le jauger, à deviner ce qu'il voulait. Elle prit le livre.

- L'avez-vous lu ?

La partie délicate de l'affaire.

- Je dois avouer que la curiosité me l'a fait lire et c'est pour cela que je suis ici.

Elle avait était très accueillante jusqu'ici, mais elle ne semblait pas ravie de la tournure que prenait la conversation.

- Voilà. Votre histoire m'a touchée et j'aimerais écrire un livre sur vous.

Elle resta interloquée.

- Un livre sur moi ?  C'est une plaisanterie, j'espère ?

Maurice lui répondit que non. Malgré sa réaction, il lui exposa ses intentions, comment il voulait travailler. Au fur et à mesure, elle lui sembla acquise au projet. Ils prirent rendez-vous le lendemain midi, dans un restaurant.

*

- Je n'étais qu'une gamine naïve et gâtée.

En parlant, elle faisait défiler les pages de son journal intime sur son pouce.

- J'étais persuadée d'être une adulte alors que je n'étais pas plus mature qu'une môme de 12 ans.

Elle reposa le volume sur la table du petit restaurant italien dans lesquels ils  avaient pris rendez-vous.  Seuls ses mouvements de la  main trahissaient sa nervosité à l'idée de se raconter. Maurice l'écoutait, en gardant près de lui un crayon et un bloc-note. Il  parla :

- Vous avez fait des erreurs, mais vous avez fait ce que vous désiriez. Peu de gens ont le courage de leurs désirs.

Elle sembla surprise de sa réponse.

- Je ne regrette pas ce que j'ai fait, je regrette ce que j'étais. Non,  pour rien au monde je n'effacerais cette partie de ma vie. Elle m'a donnée une fille, Isabelle.

Elle sortit de son sac à main un élégant porte-photo. Elle lui tendit. Sous la première feuille plastique, une photo d'un bébé souriant à l'objectif.

- La fille de Charlie ?

Elle hésita :

- Je ne l'ai jamais vu de cette manière. Charlie a cessé d'exister le jour où je me suis marié.

Elle tendit la main au-dessus de la table et tourna la première photo. Maurice vit alors le visage défait d'une toute jeune fille (celle qui avait écrit le journal, il n'y avait aucun doute dans une magnifique robe de mariée, au coté d'un fringant jeune homme, au sourire crispé.

- Pierre d'Alamarie de la Roche, fit-elle. Mon mari. Mon Dieu, il était si timide, si peu à l'aise en société. Faire cette photo, ça a été toute une histoire.

Elle ria, de ce rire que Maurice trouvait si attirant. Puis elle s'arrêta, net.

Malgré le fait que je ne l'ai pas choisi, ça été un bon mari et un bon père pour Isabelle. Ensuite, on a eu Stéphane. Nous avons formé une vraie famille, unie. D'une certaine manière, j'ai aimé Pierre. J'ai aimé sa bonté, sa patience et les joies qu'il m'a apporté.

- Il est décédé ?

- Il y a un peu près un an. D'un cancer. Il a souffert comme jamais un homme comme lui ne devrait souffrir.

Elle resta un moment, seule, dans ses pensées et dans ses souvenirs, regardant la vie se dérouler derrière la vitre du restaurant. Maurice savait trop bien ce qu'étaient ces moments de retour sur soi-même pour ne pas les respecter. Une larme commença à descendre de ses joues, mais de la main, elle l'essuya rapidement. Elle se leva.

Excusez moi. Je reviens tout de suite.

Elle se dirigea vers les toilettes. Maurice attendit en jouant avec son crayon. A un moment, sa main écrivit instinctivement sur le bloc-note : « Aujourd'hui, comme hier, la même fierté, la même dignité. »

*

Durant la semaine qui suivit, ils se rencontrèrent de nombreuses fois. Juliette raconta sa vie, ses souvenirs de cette époque où elle fugua… Au fur et à mesure qu'elle se mettait à nu, Maurice ressentait une grande gêne, si bien que lui-même se mit à se confier à elle. Au début avec beaucoup d'appréhension car le monde dont il lui parlait n'avait rien à voir avec ce qu'elle avait vécu ses trente dernières années. Juliette, pourtant, ne paraissait pas avoir la moindre condescendance envers ce fils de pied-noirs ouvrier. Même quand Maurice eut assez de notes pour commencer la rédaction de son bouquin, il n'en fit rien. Il continua de la rencontrer. La jolie femme n'était pas dupe. Un soir, alors qu'ils dînaient au Flore, elle fit remarquer :

- Vous auriez pu commencer votre livre il y a longtemps.

Maurice baissa les yeux comme un gamin pris en faute.

- Sans doute. Peut-être ai-je envie de passer plus de temps avec vous.

Il releva la tête. Il n'arrivait pas à croire que cette phrase était sortie de sa bouche. Elle aussi sembla surprise, mais nullement gênée.

- Voilà qui a le mérite d'être direct, répondit-elle.

- Heu… Excusez-moi… Je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras. Je…

Elle lâcha sa serviette sur la table, un peu excédée.

- Par pitié, Maurice. Vous avez déjà fait des avances à une femme, non ? Vous n'êtes pas un novice en la matière.

- Heu… non, bien sûr.

- Alors pourquoi vous comportez-vous comme un adolescent de 14 ans avec moi ?

- Je ne comprends pas.

- Il est évident que je vous plais. Et pour tout vous dire, vous me plaisez également. Pourtant, vous tournez autour du pot depuis bientôt quinze jours. Je pensais qu'à votre âge, on avait dépassé le stade des amours dissimulés.

Il savait qu'elle avait raison, pourtant il eut du mal à lui avouer le fond de sa pensée.

- Excusez-moi, mais pour tout vous dire… vous m'impressionnez.

Elle éclata de rire.

- Moi, je vous impressionne ? Et moi qui suis morte de trouille à l'idée de rencontrer un écrivain célèbre à chaque fois.

Il se sentait ridicule. La discussion prenait effectivement un tour qui ne lui convenait pas.

Elle se mit à rire de nouveau.

- Mon dieu, nous sommes  des gamins !

Et elle posa sa main sur celle de Maurice.

Publicité
Commentaires
Publicité